Il était une fois…
Un faucon, qui avait sa place de choix chez les rois, perdit un beau jour son chemin et se trouva au milieu de ruines, entouré de chouettes qui avaient fait de ces décombres leur nid. Les hiboux ne pouvaient pas tolérer un oiseau royal planant à haute altitude parmi eux. L’envie et la peur allaient de pair chez ces oiseaux lugubres. « Ce faucon insolent a débarqué ici, pour y prendre notre place, celle réservée aux hiboux, et nous expulser de ces ruines qui sont notre nid. », vociféraient les chouettes envieuses. Et ils tombèrent sur l’altier faucon, distillèrent le venin et l’insultèrent :
Le faucon tomba dans les ruines des chouettes
Il avait perdu son chemin, se trouva dans les décombres
Un grand tapage fut soulevé et les hiboux vociféraient :
« le faucon est venu pour prendre notre place »
Comme les chiens de la rue, les yeux rouges et terrifiants,
Ils tombèrent sur le pauvre étranger
Le faucon, dont l’idée de vivre au milieu de ruines et en présence des hiboux lui faisait horreur, s’écria : « Quel rapport ai-je, moi, qui vivais à la cour royale, avec les chouettes et les ruines ? O les hiboux ! Ne vous tracassez pas tant, je ne souhaite nullement vivre dans cet exil. Je m’envolerai vers ma terre natale, le palais des rois. Ces ruines délabrées qui sont si précieuses à vos yeux ne sont pour moi que des vestiges sans valeur. Moi, qui avais toujours la place sur le bras des rois, je ne me contenterai jamais de ce petit coin en ruines. Ne vous inquiétez pas puisque je m’en irai. »
Le faucon dit « que fais-je avec ces chouettes
Je ne veux pas d’ici, je m’en vais
Je retourne vers le roi des rois
Ne vous tuez pas, ô hiboux
Puisque je ne suis pas d’ici
Et je m’en vais vers ma terre natale
Cette ruine est prospère à vos yeux
Alors que le bras royal est le siège du faucon »
Les hiboux rejetèrent les propos du faucon. « C’est une autre ruse, ont-ils répliqué. De tels propos vaniteux ne sont que pour nous intimider et saisir notre maison. Il parle ainsi pour nous faire peur, sinon quel est le rapport d’un roi avec un oiseau mesquin. Personne n’acceptera les prétentions de cet oiseau, selon qui le roi, avec toute son armée, le cherche. Ce ne sont que des propos creux et mensongers pour nous leurrer ; quiconque le croit n’est qu’un niais. En fait qu’aurait fait un roi avec un oiseau si maigre. »
Le hibou répliqua : « Le faucon trame la ruse
Pour vous déloger de chez vous
Perfide, il veut saisir notre maison
Nous expulser par une machination
Par Dieu, il est pire que tous les cupides
Il se vante du roi et du bras royal
Pour nous tromper, nous, gens simples et paisibles
Comment un oiseau est-il de nature des rois
Ne l’écoutez pas si vous avez de la raison
Tout ce qu’il dit n’est que ruse et perfidie
Ce n’est que vantardise, pour nous rouler
Quiconque le croit, est niais
Que fera-t-il un roi
D’un tel oiseau maigre »
Le faucon fit tout son possible pour aider les hiboux, enlisés dans leur obscurantisme, à comprendre, afin de les émanciper des chaînes de l’ignorance. Il leur disait : Ne soyez pas si arrogants ; si je perds même une plume, mon maître et seigneur détruira votre pays. Qui est ce sieur hibou pour qu’il ose me briser une plume ? Même si un de mes congénères cherche à me tracasser, le roi trouvera où il se cache et me vengera. Je suis dans le cœur du roi, là où je m’en vais, il me cherchera. Dès qu’il me fait voler, je m’envole vers les cieux, déchire le rideau de l’horizon, puisque c’est moi le faucon, l’oiseau de bon augure dont le vol surprend même le sphinx. Comment donc un oiseau si vil, tel que le hibou, serait à ma hauteur, serait à même de comprendre le secret de ma survie, de ma splendeur et de ma grandeur ?
Le faucon dit : « Si vous brisez une seule de mes plumes
Le roi des rois rasera la terre des hiboux
Qui est ce hibou ? Même si un faucon m’offense
Blesse mon cœur, le roi décapitera des milliers de faucons
Et dressera des tours de leurs têtes
Mon protecteur est la grâce royale
Je réside dans le cœur du sultan
Comme la lune et le soleil, je m’élève
Je déchire les rideaux des cieux
Je suis faucon et le sphinx envie mon envol
Qui est ce hibou pour comprendre notre secret ? »
Le faucon daigna jeter un coup d’œil à la foule des hiboux et leur dit : « Heureux celui des hiboux qui médite sur mon vol et comprend le secret de mon bonheur, de ma grandeur et de ma place. Puissiez-vous comprendre que quiconque est l’ami et le compagnon du roi, là où il se rend, il n’est pas étranger. Quiconque pour qui la grâce royale est remède, se sentira fort, même s’il est faible et malade. Il est évident que je ne suis pas de la même essence que celle du roi, je ne suis qu’un prédateur, que son oiseau de chasse préféré. Il est le Très-Haut et moi un indigne ; or la faveur du sultan, sa magnanimité, sa grandeur et son faste m’ont inondé de lumière, moi un vil serviteur ; c’est à la lumière de sa faveur que l’on me respecte, que l’on m’aime et me chérit.
Ne suis-je pas de l’essence du roi des rois, loin de Lui
Or, sa lumière m’inonde dans Sa manifestation
Puisque notre essence n’est pas celle de notre roi
Notre nous s’anéantit dans Lui
Accrochez-vous à moi pour être parmi les privilégiés
Quoique vous soyez des hiboux vous seriez faucon. »
Extrait du Molana de Jalal al-Din de Balkh (Source Irib)