Forough Farrokhzâd, poète trop tôt disparue

Forough Farrokhzad, décédée le 13 février 1967 dans un accident de voiture.
Forough Farrokhzad, décédée le 13 février 1967 dans un accident de voiture.

Forough Farrokhzâd (1935-1967) (en persan : فروغ فرخزاد) est une poète contemporaine iranienne.

Forough Farrokhzad et son mari Parviz Shapour.
Forough Farrokhzad et son mari Parviz Shapour.

Née dans une famille de militaires à Téhéran le 5 janvier 1935, Forough est la troisième d’une fratrie de sept. En 1948, à la fin du primaire, elle commence à écrire des ghazals. Après avoir obtenu son diplôme secondaire, elle s’inscrit à l’école technique de Kamalolmolk où elle étudie la couture et la peinture.

Elle épouse en 1951, à l’âge de 16 ans et contre l’avis de ses parents, son cousin Parviz Shapour, satiriste iranien de renom, puis déménage à Ahvaz pour suivre son mari avec lequel elle apprend la peinture. Elle donne naissance un an après son mariage à son unique fils Kamyar et se sépare de son mari en 1954 qui obtient la garde de l’enfant. Cette double séparation la fragilisera.

Forough et son fils adoptif Hosein.
Forough et son fils adoptif Hosein.

C’est à partir de ce moment qu’elle commence à correspondre avec des magazines de renom. Son premier recueil de poésies, اسير (« Le captif »), est publié en 1955 à Téhéran. On y ressent la large influence de Fereydoun Moshiri, Nader Naderpour et Fereydoun Tavalalli.

Ses recueils suivants sont : Divâr – ديوار (« Le mur »), publié en 1956 et dédié à son ex-mari, et ‘Esiyan – عصيان (« La rébellion »), publié en 1958. C’est au cours de cette même année qu’elle rencontre Ibrahim Golestan, célèbre écrivain et cinéaste iranien, et qu’elle commence à coopérer avec lui en tant qu’assistante. Bien que cette relation soit controversée, elle travaille avec lui jusqu’à la fin de sa vie.

Forough Farrokhzâd poursuit des études cinématographiques (l’art du film) en Angleterre en 1959. Elle termine, à cette époque, Tavallodi digar -تولدى ديگر (« Une autre naissance ») qui est publié en 1964 (cette œuvre est dédiée à Ibrahim Golestan).  Cette même année, Forough tourne son film Un feu puis joue dans La Proposition en 1960. Forough retourne en Angleterre l’année suivante.

En 1961, elle produit Eau et chaleur qui décrit la « chaleur » sociale et industrielle d’Abadan. Le film rencontre un certain succès. Toujours en 1961, elle joue dans La Mer, une production — jamais terminée — basée sur une histoire de l’écrivain iranien Sâdeq Chubak (صادق چوبک‎‎, 5 août 1916 – 3 juillet 1998) intitulée Pourquoi la mer est devenue orageuse ?

Forough Farrokhzad, également réalisatrice de film.
Forough Farrokhzad, également réalisatrice de film.

Elle déménage à Tabriz en 1962 et réalise, en douze jours, La maison est noire (خانه سیاه است, Kẖạneh sy̰ạh ạst), un film sur la vie des lépreux. Le film remporte le grand prix documentaire au Festival Oberhausen en 1963. Elle joue la même année dans une pièce de Luigi Pirandello intitulée Six personnages en quête d’auteur et l’UNESCO lui consacre un film de trente minutes.

Forough visite l’Allemagne, la France et l’Italie en 1964. En 1965, Bernardo Bertolucci va en Iran pour l’interviewer et réalise un film basé sur l’histoire de sa vie. Il en profitera pour emporter des lettres de la poète, tout en portant assistance à des prisonniers politiques.

Le 13 février 1967, Forough rend visite à sa mère qui dira plus tard qu’elles avaient eu, lors du déjeuner, la plus belle des conversations. Sur le chemin du retour, la jeep wagon qu’elle conduit heurte un mur en essayant d’éviter un véhicule venant en sens inverse, à l’intersection des rues Marvdasht et Loqumanoddowleh à Darrous (quartier nord de Téhéran). Éjectée de sa jeep, elle décède des suites de blessures à la tête.

Son dernier recueil de poèmes, intitulé ايمان بياوريم به اغاز فصل سرد (« Laissez-nous croire au début de la saison froide »), est publié de manière posthume. En décembre 2006, une traduction de sélection de ses poèmes en anglais, faite par Maryam Dilmaghani, a été publiée en ligne pour célébrer le quarantième anniversaire de son décès.

Le film de Kiarostami, Le vent nous emportera, est titré d’après un poème de Forough Farrokhzâd.

Forough Farrokhzad est la sœur de Fereydoun Farrokhzâd (chanteur, poète, écrivain) et de Pooran Farrokhzâd (écrivaine, poète, encyclopédiste).

Quelques poèmes

Forough Farrokhzad

 Tanhâ sedast ke mimanad (Il n’y a que la voix qui reste)

Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi ?
Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue
L’horizon est vertical
L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine
Et dans les limites de la vision
Les planètes tournoient lumineuses
Dans les hauteurs la terre accède à la répétition
Et des puits d’air
Se transforment en tunnels de liaison.
Le jour est une étendue,
Qui ne peut être contenue
Dans l’imagination du vers qui ronge un journal
Pourquoi m’arrêterais-je ?
Le mystère traverse les vaisseaux de la vie
L’atmosphère matricielle de la lune,
Sa qualité tuera les cellules pourries
Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil
Seule la voix
Sera absorbée par les particules du temps
Pourquoi m’arrêterais-je ?
Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture
Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés
L’homme faux dans la noirceur
A dissimulé sa virilité défaillante
Et les cafards… ah
Quand les cafards parlent !
Pourquoi m’arrêterais-je ?
Tout le labeur des lettres de plomb est inutile,
Tout le labeur des lettres de plomb,
Ne sauvera pas une pensée mesquine
Je suis de la lignée des arbres
Respirer l’air stagnant m’ennuie
Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol
La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir,
À l’origine du soleil
Et de se déverser dans l’esprit de la lumière
Il est naturel que les moulins à vent pourrissent
Pourquoi m’arrêterais-je ?
Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein
La voix, la voix, seulement la voix
La voix du désir de l’eau de couler
La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre
La voix de la formation d’un embryon de sens
Et l’expression de la mémoire commune de l’amour
La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste
Au pays des lilliputiens,
Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro
Pourquoi m’arrêterais-je ?
J’obéis aux quatre éléments
Rédiger les lois de mon cœur,
N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local
Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie ?
De l’organe sexuel animal
Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande ?
C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre
La race du sang des fleurs savez-vous ?

(Traduction Mohammad Torabi & Yves Ros)

Forough Farrokhzâd.

Le Vent nous emportera

Dans ma nuit, si brève, hélas
Le vent a rendez-vous avec les feuilles.
Ma nuit si brève est remplie de l’angoisse dévastatrice
Écoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
De ce bonheur, je me sens étranger.
Au désespoir je suis accoutumée.
Écoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
Là, dans la nuit, quelque chose se passe
La lune est rouge et angoissée.
Et accrochés à ce toit
Qui risque de s’effondrer à tout moment,
Les nuages, comme une foule de pleureuses,
Attendent l’accouchement de la pluie,
Un instant, et puis rien.
Derrière cette fenêtre,
C’est la nuit qui tremble
Et c’est la terre qui s’arrête de tourner.
Derrière cette fenêtre, un inconnu s’inquiète
pour moi et toi.
Toi, toute verdoyante,
Pose tes mains — ces souvenirs ardents —
Sur mes mains amoureuses
Et confie tes lèvres, repues de la chaleur de la vie,
Aux caresses de mes lèvres amoureuses
Le vent nous emportera !
Le vent nous emportera !

(Poème extrait du film Le Vent nous emportera d’Abbâs Kiarostami)

Forough Farrokhzâd devant le haft sin, à l'occasion de Norouz.
Forough Farrokhzâd devant le haft sin, à l’occasion de Norouz.

Je reviendrai saluer le soleil

Je recommencerai à accueillir le soleil
et ce flux qui ruisselait en moi,
les nuages de mes pensées déployées,
la douloureuse croissance des peupliers du verger
qui m’accompagnèrent au travers des saisons sèches ;
je saluerai le vol de corneilles
qui m’apporta le parfum nocturne des champs
et ma mère qui habitait le miroir
révélant une image de mon vieillissement ;
j’accueillerai la terre qui dans son désir de me recréer
gonfle son ventre en feu de vertes semences.
Je viendrai, j’émergerai
avec mes cheveux charriant leurs senteurs sédimentaires
avec mes yeux qui ont capté la noirceur souterraine,
j’apparaîtrai avec un bouquet assemblé dans les broussailles
de l’au-delà du mur ;
je recommencerai, renaîtrai,
l’entrée resplendira d’un amour
partagé par ceux que j’accueillerai comme
la jeune fille debout dans le seuil éblouissant.

(Extrait de : Forough Farrokhzâd : Tavallodi degar, 1963. Traduit du persan par Jean-René Lassalle en croisant les traductions anglaise et allemande avec l’original en persan).

Ouvrages (en français)

Voir aussi :

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